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Lettre à un maire qui vient d’être (ré)élu

27 Mar

L’implication des habitants et des acteurs de la cité dans les affaires communes.

La défiance et même la colère des habitants et des acteurs vis-à-vis de l’action publique sont arrivés à un point de basculement. Il oblige à une mutation démocratique qui dépasse les bonnes intentions et les incantations.

Le modèle traditionnel dans notre pays a été marqué par deux approches complémentaires qui sont profondément remises en question.

Pour la première, l’action publique encadre et règlemente la vie et l’activité collective basée sur les expertises de l’Etat et des collectivités locales. Le résultat en est une ignorance fréquente de la chose publique par les populations et une mise en dépendance, même du politique.

Pour la seconde, l’action publique est conçue comme (re)distributrice de ressources et de moyens pour compenser des manques ou des besoins sociaux. L’ambiguité des motivations, la montée des exigences et des défiances avec les soupçons de clientélisme disqualifient la façon dont cette fonction est exercée et notamment son rapport coût/efficacité.

La mutation de notre époque et de notre monde, marquée par une succession de crises de transitions, se caractérise aussi par le développement progressif d’un processus d’autonomisation responsable, dite aussi « empowerment », des personnes et des communautés. Elle se caractérise aussi par la possibilité de multiplications des relations de proximité, même à distance, c’est-à-dire le tissage de liens autour d’enjeux communs, à toutes les échelles.

La réhabilitation des communautés d’existence et d’enjeux rétablit les conditions d’engagement et de développement communautaires des habitants et des acteurs qui s’y retrouvent.

La participation des habitants et des acteurs aux affaires communes trouve alors :
– un levier pour l’action et le développement individuel et collectif : des communautés majeures d’enjeux ou de territoires (quartiers, villes…) à toutes les échelles.
– un principe éthique : le Sens du bien commun, propre à chaque communauté et à chaque ensemble communautaire (quartiers, villes, communautés de communes, d’agglomération, régions, nations, etc.) qui exprime des valeurs, des richesses humaines et une motivation partagée.
– une trajectoire et une démarche de développement communautaire appropriée, en fonction des niveaux de maturité et de conscience avec de nouvelles méthode de participation démocratique.
– son propre modèle culturel de développement et de gouvernance communautaire où sont associées toutes les parties prenantes et les communautés impliquées.

Dès lors l’action publique se justifie par sa contribution au développement communautaire et donc aussi celui de tous ceux qui les constituent : personnes, groupes, acteurs, organisations… et non par une tutelle ou une ressource distributrice inépuisable, deux modèles « parentaux » pour mineurs.

Cependant de nouvelles compétences sont nécessaires, appuyées sur la connaissance des phénomènes et dynamiques communautaires, la mobilisation et l’accompagnement de processus d’autonomisation responsable. Ainsi les méthodes d’appropriation active des affaires communes, la conduite des processus de conscience et de maturation, la direction et la conduite de projets communautaires deviennent des conditions majeures.

Elle réclament :
– la constitution de pôles de compétence pour capitaliser et démultiplier ces compétences nouvelles.
– l’engagement d’une mutation culturelle et professionnelle des acteurs de l’action publique, conditionnés par les modèles classiques
le développent d’un nouveau type de gouvernance, la démocratie communautaire, dans tous les domaines de l’action commune.


La démocratie communautaire comporte l’articulation de trois niveaux d’exercice :
– la démocratie élective qui incarne le Sens du bien commun propre à chaque communauté. Pour la ville c’est le maire qui en est l’élu et exerce cette fonction de repère de direction et d’orientation avec l’appui des relais de sa politique générale.
– la démocratie représentative qui ne doit par rassembler seulement les élus du plus grand nombre mais aussi les représentants des groupes et communautés qui participent à l’édification du bien commun. Des conseils communautaires basés sur cette représentativité sont chargés de déterminer règles, cadres, projets, stratégies, etc. selon les niveaux de maturation collective acquis.
– la démocratie participative qui porte sur l’activité et les actions communautaires, selon les cadres et projets développés dans le Sens du bien commun et selon le principe : ce sont les acteurs qui agissent. Les acteurs sont les habitants, les forces vives, les groupes et communautés constituées, les entreprises et organisations, les institutions et tous ceux qui composent la communauté ou y participent.

La compétence collective et l’intelligence collective se développent à partir de cette participation aux enjeux communs et s’y exerce dans tous les domaines de la vie et du développement communautaire. Ce modèle de participation n’a rien à voir avec les simples consultations sommaires habituelles, ni les débats pseudo équilibrés, ni les négociations qui ramènent tout aux rapports de forces ni les naïvetés dont l’échec récurent ne trouble pas la répétition incantatoire. Il tiens compte de la richesse des potentiels humains individuels et collectifs mais aussi de leur nécessaire maturation au travers de situations et d’apprentissages progressifs préparés, soutenus et accompagnés.

Alors, avec la mise en place de nouveaux conseils municipaux, les maires de ce nouveau cru doivent songer non pas à reproduire les modèles qui les enferment mais à se préparer à cette mutation que la société civile attend de façon plus ou moins confuse et qui se manifeste déjà de plus en plus clairement.

A titre d’éclairage un texte de 2009 « le temps des démocraties majeures »

le 27 Mars 2014
par Roger Nifle
chercheur prospectiviste et promoteur d’un Humanisme Méthodologique.
mailto:rnifle@coherences.com

 

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  1. hacker

    27 mars 2014 à 13 h 51 min

    Cher Roger,
    Merci pour ce très bon article.
    Que pensez vous de la notion de capabilités et des droits formels.désirs chez Amartya Sen.
    Je suis totalement d’accord avec votre vision. Je pense aussi qu’il y a un tel niveau de tension et de rejet/incompréhension de l’Autre dans ce pays avec une conception tellement dogmatique de la vie, qu’il faut trouver de nouvelles façon de parler des Communautés et de la démocratie.
    Il ne faut jamais rejeter le poids du passé. Parler de communautarisme en France est considéré comme violent… Il ne faut pas juger, mais trouver d’autres alternatives et mots clés pour faire passer un message.
    Que pensez vous aussi de Castoriadis et de l’imaginaire instituant?
    Ce soir, il y a aussi une rencontre avec Etienne Chouard. Qu’en pensez vous?
    Bien à vous,
    Violaine Hacker

     
    • Roger Nifle

      27 mars 2014 à 15 h 34 min

      Chère Violaine
      Beaucoup de choses à dire parce que le sujet est un axe majeur de mon travail de ces 35 dernières années tant sur le plan théorique et méthodologique que sur le plan pratique et de l’expérience de terrain. Alors quelques éléments de réponses.
      D’abord l’actualité de ce texte est en rapport avec une action de terrain et une exploration nationale concernant la participation des habitants aux affaires communes dans une logique d’empowerment. Ce terme lorsqu’il est traduit par autonomisation (majeure et responsable et non pas indépendante et immature) croise celui de capabilités me semble-t-il. L’enjeu est pour chacun le développement de la maîtrise des potentiels humains personnels, toujours en situation communautaire (il n’y en a pas d’autre. Au passage le communautarisme est à la communauté ce que l’individualisme est à l’individu. Rejeter le second au nom de la critique du premier est suspect. En fait le rejet du communautarisme ( bien différent de la simple critique) a, dans notre pays une finalité, le rejet de la communauté. Deux raisons, éliminer une source de puissance (empowerment) en concurrence avec celle de l’Etat jacobin qui veut garder le monopole de l’emprise sur les individus et le lien social (l’individualisme est donc encouragé) et combattre la rivalité d’une église catholique (de l’époque) avec ses paroisses que l’Etat n’a jamais cessé d’imiter avec son registre juridique comme bréviaire et aussi la sacralisation dogmatique de ses « valeurs » idéelles. Nous arrivons au stade de l’accomplissement de ce projet et donc de son échec garanti. C’est pour cela que la notion de droits dans cette affaire me tient en alerte. Qui distribue des droits, de quelle autorité supérieure à quels mineurs bénéficiaires ? S’il y a des droits il appartiennent à ce qui défini le juste et l’injuste d’une communauté en relation avec son Sens du bien commun et les représentations formelles qu’elle s’en donne.
      Le terme d’empowerment a été récemment traduit en France par « pouvoir d’agir ». On pourrait le comprendre comme autonomisation mais certain(e), bien en cour, le récuse le taxant de libéralisme (quelle horreur). Mais le pouvoir d’agir, quand agir c’est manifester, est un appel à grossir les rangs des critiques ou mieux des forces de prise de pouvoir. On assiste donc à des détournements destinés à sauver les pensées et doctrines des siècles anciens en même temps qu’émerge malgré tout une société civile recentrée sur les affaires communes plus que sur l’indignation.

      Un aspect majeur de la question est la conception (anthropologique) du rapport personnes/communautés qui n’est pas le même qu’individu/société et aussi la considération du rapport entre empowerment communautaire comme ligne de développement et d’accomplissement des communautés dans toutes les dimensions des affaires humaines qui s’y jouent et empowerment personnel comme ligne de développement et d’accomplissement personnel, l’un par l’autre.
      En pratique la question est comment s’appuyer sur des compétences personnelles et collectives pour engager le développement communautaire et comment le développement communautaire engage le développement de personnes dans un processus de maturation et donc d’empowerment réciproque. C’est tout l’enjeu desconceptions, méthodes et stratégies que j’ai élaborées et mises en pratique (encore maintenant dans l’actualité) et aussi de la démocratie communautaire que j’évoque ici. Pour Etienne Chouard, ce que je connais me parait poser d’abord un problème épistémologique sur la notion de représentativité. La représentativité numérique ou aléatoire ne me parait pas compatible avec la représentativité communautaire seule pertinente dans le dispositif qui articule les trois modes de démocratie indissociables. Quant à la délibération collective elle présuppose une communauté de langage et de valeurs. Même critique que celle de Ricoeur pour Rawls. Je garde Castoriadis pour la fin et à y aller voir de plus près ce que je ne connais pas. La formule « imaginaire instituant » fait néanmoins écho sur la relation entre imaginaire et institutionalisation comme homologues (même Sens). J’utilise couramment des procédés basés sur des médiations imaginaires tant pour discerner le Sens des situations que pour concevoir et construire des productions rationnelles et le cas échéant institutionnelles un fois le Sens élucidé.

      A suivre si vous le souhaitez.