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Le libéralisme communautaire

05 Jan

Les stades de maturité politique des communautés humaines.

L’émergence du libéralisme communautaire

Roger Nifle 5 Janvier 2016

Nous sommes dans une période de mutation, mutation de civilisation donc de niveau de maturité des sociétés humaines. Toute mutation connait une période de crises, crise de passage avec ses régressions et ses apprentissages de nouveaux mondes, de nouvelles conditions de l’existence humaine. Le passage dans lequel nous sommes engagés laisse apparaitre partout des crises dont on craint l’issue ou dont on espère de nouvelles émergences de civilisation. Des printemps s’annoncent et aussi des violences que l’on croyait derrière nous. Des conditions qui ressemblent à l’arrivée de l’imprimerie ont  déjà bouleversé les relations entre les hommes, même dans les pays les plus démunis, en moins de 20 ans. Seulement les modèles de pensée et de fonctionnement habituels semblent incapables de comprendre ce qui se passe et particulièrement dans notre pays où la Raison semblait souveraine. Alors là où nous plaçons le centre de notre identité collective et de notre devenir commun, le Politique, semble au bord de l’implosion. A ce jour la communauté nationale et ses intellectuels médiatiques et politiques semblent en passe de divorcer. Les attentes de la communauté nationale et les offres du monde politico médiatique semblent incompatibles. Mais n’est ce pas cette communauté là qui est éprouvée par cette mutation, le politique n’en étant qu’un symptôme? Telle se conçoit la communauté et son devenir, tel se conçoivent le politique et ses enjeux. Les modèles de l’un et de l’autre sont obsolètes, le nouveau n’est pas encore mûr.

C’est à ce travail de maturation que nous voulons contribuer, tant pour en comprendre les différents stades que pour en dessiner des perspectives et des projets. Avec L’Humanisme Méthodologique ont été approfondis les phénomènes humains communautaires et les stades de maturation de l’humanité. C’est le phénomène communautaire le plus commun semble-il qui est le lieu d’une mutation radicale et donc de tous les malentendus et de toutes les émergences décisives. La civilisation qui s’annonce est celle des communautés humaines, d’une humanité dont la condition est d’abord communautaire, une « hominescence » dirait Michel Serres qui correspond à un stade de  « maturescence » de l’humanité. Mais franchir un seuil de progrès ne met pas à l’abri des régressions et surtout des troubles que les crises manifestent. Comment nos sociétés et particulièrement la nôtre peuvent se saisir de cet enjeu avant tout politique ? L’Humanisme Méthodologique propose pour cela un paradigme nouveau, le paradigme communautaire qui articule à la fois la compréhension des phénomènes en jeu, la visée de toute maturation communautaire, les processus d’évolution qui permettent de telles transformations.

Ici ce sont les stades de maturité politique qui vont permettre d’éclairer les problèmes et l’orientation souhaitable. La connaissance des quatre stades de maturité politique des communautés humaines va éclairer la situation et dessiner une perspective qu’il faudra ensuite développer par ailleurs.

1 – Le communautarisme tribal

C’est le stade le plus archaïque du politique et des communautés humaines. Y règnent les sentiments et les passions, les promesses fusionnelles et les combats inexpugnables contre les autres, ceux d’autres tribus, d’autres communautés. Le politique c’est le domaine du pouvoir, pouvoir d’emprise qui sait manier séductions, promesses et menaces. Sans ennemis, difficile d’entrer en fusion et la fusion c’est le lien que le pouvoir soutien par l’entretien des passions. Les sciences politiques se sont vautrées dans ces mystères dont le spectacle médiatique réjoui l’arène. Le domaine des tribus communautaristes est vaste. Là ou les enjeux de pouvoir et de possession matérielle ou morale sont actifs, là ou des religions s’abiment dans l’intégrisme, là où les empires se bâtissent et se détruisent, là où les jeux du cirque d’antan passent pour le divertissement culturel indispensable.

Notre pays caractérisé par une culture de l’ordre où la Raison s’est voulue reine, est assailli par le ressentiment contre l’ordre établi, celui des autres, jugé injuste. On s’y abîme dans la doxa révolutionnaire, lieu de toutes les vertus qui, au lieu de construire, dénonce l’adversaire. D’un côté la plainte victimaire multiplie les communautés fortes de leurs défaites et donc de leurs tyrans et exploiteurs en tous genre sans lesquels elles n’existeraient pas semblet-il. D’un autre côté la passion paranoïaque rêve d’anéantir les pouvoirs qui lui échappent, si bien que les extrêmes se retrouvent régulièrement sur le champ de bataille où les fantassins passent d’une armée à l’autre. Toute ressemblance avec l’actualité n’est pas fortuite. Le communautarisme tribal prend donc ainsi des formes nationalistes ou anti-nationalistes, internationalistes ou anti-mondialistes. L’européisme, conception dégradée de l’Europe y ajoute sa place de punching-ball. La France a un rapport abusif avec la Révolution comme un trauma dont ne vient que pathos en attendant la résilience. Epreuve de liberté elle touche à l’humanité de l’homme   tant par sa transcendance au sein des communautés de co-existence et de co-dépendance, que de sa peur de la liberté de l’autre et donc de la sienne propre. Elle devrait aussi se souvenir de la façon dont l’idéalisation de la Raison a permis au 20 ème siècle les hécatombes les plus terribles. Elle devrait se souvenir que les héritiers de ces horreurs sont équipés intellectuellement et techniquement pour commettre le pire et il ne suffira pas de brandir des valeurs idéales pour avoir raison. L’universalisme rationaliste constitue une ligne « Maginot » imaginaire parfaitement vaine surtout quand elle veut s’imposer et prendre le pouvoir sur le monde. Conquérir le pouvoir est le degré le plus bas de la maturité politique des communautés humaines. Nous en avons eu notre saoul ces derniers temps.

2 – Le socialisme égalitaire.

C’est là le stade primaire des communautés humaines et du politique. Primaire n’est pas ici péjoratif sauf s’il y a régression ou infantilisation de la société civile comme dans un maintien sous tutelle. Le politique c’est le domaine de la gestion, de l’administration, de l’organisation collectives. Subsistance, sécurité, confort sont les préoccupations principales des collectivités et de la société. Le politique gère et administre, établissant les modalités qui sont sensées subvenir aux besoins de la collectivité et donc de ceux qui y sont inscrits. L’économie y a une grande place et évidemment le chômage est un dysfonctionnement dont il faut trouver des compensations de même que toutes les défaillances dans le fonctionnements collectif et les redistribuions. Il s’agit bien de fonctionner. Salariés comme fonctionnaires occupent le statut optimal qu’il serait bon de généraliser. Cependant il y a de nombreuses collectivités constituant autant de milieux où ces questions de subsistance, de sécurité et de confort sont aux prises avec les tendances régressives des pouvoirs d’emprises. L’idéal serait de constituer une seule collectivité mondiale qui uniformise les modes de fonctionnement. C’est l’horizon normatif des idéologues politiques mais aussi la règle pragmatique de l’administration des intérêts généraux.

En France où l’ordre est si prisé, l’organisation du fonctionnement égalitaire de la société est une habitude seulement contestée par les jeux de pouvoirs et de contre pouvoirs. Une société bien organisée pour « vivre ensemble «  tel est le régime politique souhaité dans une société immature et dépendante. La République est comprise comme cela, la gestion et l’organisation des affaires collectives. Elle se veut aussi universelle que les principes d’organisation impersonnels qui la régissent. C’est pour cela que les arrangements collectifs ont vocation à être coordonnés entre Etats, c’est-à-dire administrations, comme l’Europe en est un exemple. De ce fait on n’aime pas les communautés dotées d’une personnalité, d’une identité, d’une ambition, d’une originalité, d’une créativité, d’une dynamique différenciée, d’une culture singulière ou pire d’une spiritualité propre. Elles sont assimilées au communautarisme. A l’inverse il faut bien une doctrine pour s’y opposer et cette doctrine c’est le socialisme égalitaire c’est-à-dire indifférencié. Ici l’égalité est un terme de l’équation arithmétique nécessaire à l’équilibre des fonctionnements où les réactions sont prévisibles et le jeu social bien contrôlé sous le régime comptable qui convient. Subsistance, sécurité, confort sont à la charge des  organisations politiques et de la myriade d’associations, de services administratifs et de structures intermédiaires qui sont là pour organiser la société, son fonctionnement et ses règles d’organisation mais aussi ses règles morales, d’une morale fonctionnelle administrative. Pour cela le recours à l’Etat est indispensable, un Etat chargé du service public, de l’action publique, c’est-à-dire de cette administration socialiste égalitaire du collectif. Mais l’Etat lui-même est une organisation administrative à laquelle est voué le politique. Nous sommes là dans une démocratie administrative et comptable où l’idéal statistique et même le tirage au sort sont parmi les procédures espérées par une société irresponsable puisque impersonnelle.

3 – L’élitisme Etatiste.

Il s’agit maintenant d’un âge de maturité plus avancé, l’âge secondaire celui d’une maitrise intellectuelle des affaires humaines et du monde qui nous entoure grâce aux vertus lumineuses de la Raison. Les représentations du monde, des sociétés, de la cité et ses structures, des idéaux vecteurs de progrès s’accumulent en sciences, philosophies, Culture et même Civilisation. Il va de soi que le politique se fonde sur une rationalisation idéale de la cité. Chacun y a sa place selon le titre auquel il peut prétendre dans l’édifice social. De là une forme d’individualisme différencié selon ses mérites, ses études, ses titres, ses diplômes, sa carrière. Chacun a droit de cité dans le développement général auquel il est invité à participer selon les règles établies. L’exaltation de l’individu, de la cité, du progrès individuel et collectif prépare un élitisme où l’échelle de valeur humaniste est en fait l’échelle de maitrise intellectuelle des préoccupations selon les lois de la Raison. La Raison fait loi et le politique est évidemment corrélé à la Raison supérieure tant pour connaître, comprendre ou concevoir les perspectives et les modalités du développement ou progrès collectif.

Ce privilège de la Raison est le viatique que procurent les grandes écoles ou les aristocraties qui en jouissent directement ou indirectement. L’Etat tel que Hegel l’a bien exposé est à la fois détenteur de la Raison supérieure par les élites qui le constituent et donc de la maîtrise de son exercice dans la gestion et d’administration de la société civile. Juge et partie, justifié par son excellence rationnelle il est détenteur de l’Intérêt Général, sa définition et sa réalisation. On voit là qu’il a besoin d‘une société civile à encadrer et d’un politique qui lui octroie ses droits constitutionnellement et  légalement. C’est bien là le rôle qui est assigné au politique.  Quant aux politiques, localement, comme dans toutes les administrations coloniales ils constituent ces chefferies indigènes que l’on aime penser corrompues. Le dilemme entre la représentation locale et la représentation nationale y trouve ses racines. Bien sûr une oligarchie des « maîtres de la Raison » régit les affaires selon ses catégories, ses excellences intellectuelles et maintenant systémiques. Affaires de la société primaire, affaires de l’édifice de sélection des élites, affaires d’accumulation et transmission des savoirs, affaires d’intérêt universel, forcément, comme l’est la Raison.

La France, maîtresse de la Raison et des Lumières, c’est le tableau qui convient aux élites, et oligarchies dont le sommet a été atteint avec cette école nationale d’administration des affaires du monde, ou du moins c’est sa vocation. La démocratie représentative qui légitime cette oligarchie Etatique est l’élection des représentations intellectuelles comme supérieures, à toute réalité humaine particulière. Il n’y a que les chefferies locales qui pourraient avoir d’autres critères d’élection mais elles sont tenues en respect par les faiseurs de lois et de territoires. Nous sommes d’ailleurs les plus productifs en matière de lois et règles qui ordonnent le bon fonctionnement de la société et l’édification de la cité (menacée ont le sait par tous les avides de pouvoir qui remettent en cause l’hégémonie de l’Etat).

Le problème c’est que la mondialisation peine à croire dans l’omniscience de l’Etat français et sa légitimité universelle, malgré son adoption des thèmes planétaires du développement durable et des lois financières de l’économie systémique. Les crises rebattent les cartes et les régressions archaïques comme les solutions primaires sont à l’ordre du jour d’un Etat orgueilleux devenu bien malade.

4 – Le libéralisme communautaire

La liberté est le propre de l’homme et l’axe de son devenir. Aucune chose déterminée par les lois de la nature des choses, actions ou réactions, ou par le hasard n’est véritablement libre. La condition humaine ne se réalise pourtant que dans ce champ des dépendances, simples ou complexes. Mais c’est parce qu’il peut, non pas s’en affranchir mais en révéler la source humaine que sa liberté se découvre comme une conscience d’être co-auteur de son existence, co-réalisateur de son monde, co-constructeur de son avenir. Il y a corrélation entre l’émergence, l’éducation d’une conscience  existentielle qui aboutit à cette révélation de son être de Sens et l’exercice possible d’une liberté de Sens et ainsi de Sens partagés en conSensus, qui sont co-création et co-responsabilité des affaires communes.

A un nouveau stade de civilisation, faut-il s’attendre à des idées simplistes ou à des idées banalisées depuis des siècles ? Ce serait en revenir aux âges de maturation précédents ceux que les crises proposent à nouveau. Et pourtant ce sont les affaires des personnes humaines et des communautés humaines qui sont toujours en jeu mais ce sont les phénomènes humains eux-mêmes qui se comprennent s’engagent et se réalisent autrement.

Le libéralisme communautaire vise le développement d‘une liberté responsable liberté des personnes dans le champ des communautés de co-existence. On aurait pu l’appeler communisme libéral mais les connotations du premier terme sont trop chargées pour un usage dépassionné. Espérons que le libéralisme, si combattu politiquement dans la patrie des libertés, ne contaminera pas trop l’idée de responsabilité communautaire indissociable. Un des termes significatif