L’Europe est un noeud de civilisation, de civilisations même pour être dans l’actualité. «L’Europe est une confédération d’Etats réunis par l’idée commune de civilisation» (Ernest Renan 1870). La Grèce y est pour quelque chose avec la démocratie, la philosophie de l’être que la pensée juive et chrétienne ont complété en leur temps. Mais sait-on que le terme d’Europe aurait été employé en Grèce pour désigner les terres du nord considérées comme barbares. Pour la Grèce l’Europe c’est le pays des barbares. «Était … barbare celui qui au lieu de parler grec — de posséder le logos — faisait du bruit avec sa bouche.» http://fr.wikipedia.org/wiki/Barbare . C’est bien ce que certains doivent penser de ceux qui viennent de Bruxelles ou d’ailleurs.
Une analyse des cohérences culturelles de l’Europe ( http://journal.coherences.com/article424.html ) a mis en évidence la diversité des logiques culturelles de l’Europe, autant de façons de la concevoir et d’agir. Comment L’Europe peut-elle traiter la Grèce? La question se pose pour la Turquie ( http://journal.coherences.com/article195.html )
On peut donc envisager quatre versions selon les conceptions de l’Europe. Ces quatre versions combinent les attitudes essentielles de rapport à l’autre à l’autre nation notamment. Ouverture ou défiance, confrontation ou défense.
L’Europe des puissances et des affaires. Elle est constituée comme une coalition d’intérêts qui se font aussi la guerre comme cela a été le cas dans l’histoire. Confrontation et défiance tels sont les principes de cette Europe entre ses parties prenantes et le reste du monde. C’est bien un des jeux du moment où le souverainisme et l’anti-mondialisation conduiraient à ce que chacun reprenne la défense de ses intérêts, vaque à ses affaires. La Grèce d’aujourd’hui n’intéresse guère cette Europe
L’Europe des normes et de la monnaie unique. Son idéal c’est un Etat unique qui règlemente et administre. Ses principes sont l’ouverture aux autres (sans limites?) mais dans une attitude défensive qui enferme les différences dans le corset de la normalisation. Inutile de la décrire on la connait bien. La Grèce y a été intégrée comme tout le monde sans plus de respect de ses différences mais avec le jeu des apparences qui s’est effondré. Alors faut-il continuer à sauver les apparences de cette Europe? A quel prix pour la Grèce et pour l’Europe. L’important pour l’Europe c’est que la Grèce revienne dans les normes, de verrouiller un peu plus ses disciplines normatives. Pour l’instant pour les grecs c’est monnaie unique, monnaie inique.
L’Europe impérialiste forteresse assiégée. L’empire romain en passant par la chrétienté, jusqu’à Napoléon et Hitler, ont alimenté le rêve fantasmé d’une Europe dominatrice du monde. Cette Europe conjugue la défiance et la défense. Elle existe contre les menaces extérieures et intérieures. Aujourd’hui les ambitions prêtées à la Chine, l’Amérique, les pays émergents, les pays arabes, justifient la construction de cette forteresse sans laquelle nous serions évidemment écrasé. Le protectionnisme européen y trouve ses bases ainsi que la construction de barrières contre toutes les menaces y compris celles de l’immigration, de l’invasion par des produits étrangers et des religions. La Grèce constitue une brèche qu’il faut vite colmater parce qu’elle menace tout l’édifice.
L’Europe communauté de communautés. Ouverture et confrontation à l’altérité, conjugaison des différences, reconnaissance réciproques, projets communs, mosaïque de cultures, monnaies communes, tel serait le modèle multiculturel, multi-communautaire que l’Europe peut construire. Dans ce cas on pourrait aussi parler de fraternité européenne, fraternité des nations et des communautés qui ont choisi un destin commun. Cela permet à l’Europe de devenir un modèle dont l’intérêt est universel mais sans hégémonie, sans uniformité. Seulement il faudrait se mettre à penser une démocratie communautaire et multi-communautaire, une économie communautaire et multi-communautaire, une gouvernance communautaire et multi communautaire. ( http://journal.coherences.com/article406.html ) Nous sommes là dans la mouvance d’une mutation de civilisation qui inquiète tant les autres Europes. Nous sommes là dans une logique de refondations qu’appelle ce moment de l’histoire du monde. Restaurer la souveraineté communautaire, souveraineté responsable des enjeux communs, entre communautés qui s’engagent ensemble voilà de quoi intéresser et mobiliser les européens.
Alors pour la Grèce, d’abord la reconnaissance du meilleur de ses valeurs culturelles, de ses qualités, de ses talents, de ses potentiels. On pourrait le faire aussi pour tous les autres, une autre considération réciproque. Ensuite rechercher comment la Grèce peut remobiliser ses ressources et, retrouvant une nouvelle estime de soi, amorcer une nouvelle dynamique de développement. Le regard des autres et toutes les aides pour accompagner ce mouvement seront fructueuses tant pour la Grèce que pour l’Europe et chacune des communautés qui la constituent. Mais pour cela il faut une méthode, une philosophie, un Sens du bien commun un humanisme méthodologique.
Voir aussi «Le Sens du bien commun» éditions Temps Présent juin 2011.
genifle
3 juillet 2015 à 10 h 40 min
C’est remarquable de clarté dans une actualité rendue incompréhensible par le flou volontaire ou non des discours. J’y (re)trouvre la voie ouverte vers des solutions possibles, qui donne envie de s’y engager par l’espérance dont elle témoigne et par la restauration qu’elle suppose de la capacité humaine à traiter nos affaires d’homme, dans leur plus grande complexité.
Merci Roger
Marc Jérusalmi
5 juillet 2015 à 22 h 54 min
Effectivement, ce texte, écrit sauf erreur de ma part, en2012, est d’une actualité permanente.
Jérome Fraissinet
19 juillet 2015 à 8 h 39 min
Cette monnaie unique est vraiment un symbole du mauvais sens de l’Europe : monnaies communes au pluriel semblent effectivement l’outil le plus adéquat pour les démocraties communautaires. Distinguer aussi les monnaies financières des monnaies commerciales me semble aussi une voie de compréhension de cette crise économique.
Ainsi, les monnaies financières traite de l’avenir lointain et incertain ; cette monnaie permet d’hypothéquer l’avenir en quelque sorte et sa valeur évolue sans cesse en fonction de l’horizon. C’est la monnaie des grands projets. C’est l’Euro, celle des marchés financiers.
Les monnaies commerciales traite du quotidien et de l’avenir certain ; cette monnaie permet d’échanger les services et les biens au quotidien, de prendre des crédits sûrs que l’on rembourse. C’est la monnaie outil. C’est la monnaie locale, celles des marchés de la ville.
Un des problèmes actuels est la confusion de ces deux types monnaies en l’Euro permettant aux financiers de valoriser leur spéculations dans cette monnaie commerciale désorganisant ainsi les échanges biens réels entre les hommes.
Ces monnaies n’ont pas les mêmes temps, les mêmes ambitions et le leur parité est au coeur du projet communautaire dans le sens de l’Europe communauté des communautés.
Enfin, il est intéressant de lire l’histoire des monnaies grecques ou l’on voit que les monnaies commerciales arrivaient à exister bien ensemble dans une vision commune et non spéculative.
http://www.sacra-moneta.com/Monnaies-grecques-antiques/Les-monnaies-grecques-antiques-presentation-generale.html