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Archive de mars, 2015

le multiculturalisme républicain

29 Mar

Les banlieues comme laboratoire du nouveau modèle français.

La France est habitée depuis toujours et plus que jamais par une multitude de communautés culturelles, régionales, locales, professionnelles, religieuses,  associatives, idéologiques, de multiples origines.

Or le modèle français se pose comme négateur de ces cultures pour préserver « l’unité républicaine » qui est conçue comme une uniformité culturelle inscrite sur une échelle de civilisation ou de Culture c’est-à-dire de mérite. Ce modèle est intériorisé par beaucoup qui s’y assimilent, notamment grâce à l’oeuvre volontaire et séculaire de l’éducation nationale. L’Etat central en est le garant avec le concours des structures intermédiaires qui en défendent les principes normatif.

Les banlieues sont des espaces où cette uniformité n’est pas de mise. On pourrait dire que le processus de normalisation est insuffisant et la multi-culturalité éclate au grand jour. Le modèle se défend alors soit par le déni des cultures soit par une imposition renforcée du modèle normatif,  en sacrifiant les marges qui résistent.

La situation est telle qu’il faut avoir recours à quelque bouc émissaire pour justifier cette carence du modèle. Les inégalités économiques, les ostracismes répertoriés comme racismes ou encore les croyances religieuses sont les épouvantails favoris de l’Etatisme à la française qui se sert d’une laïcité comprise comme refus des différences, essentielles et même accessoires.

Mais, sans doute par utilités électorales, les populations multi-culturelles doivent être ramenées au bercail de la citoyenneté républicaine dont l’essentiel est de mettre le bon bulletin dans l’urne. Ca ne marche pas bien et ce modèle de citoyenneté ne touche guère ceux qui n’y sont pas conditionnés.

Alors vient un deuxième modèle celui du multi-culturalisme défensif ou victimaire. Sont légitimes les communautés culturelles qui on été ou sont victimes de cette communauté nationale, celle que vénèrent les nationalistes. Si le communautarisme est cette déviance des communautés humaines régressives, défensives et même agressives alors le nationalisme et le multi-culturalisme victimaire sont des communautarismes. D’ailleurs le modèle précédent considère toute communauté majeure comme relevant d’un communautarisme.

L’alternative multi-culturaliste habillée des oripeaux anglo saxons interprétés de façon opportuniste, passe alors pour anti républicaine pour les uns, nouvelle expression avancée de la démocratie pour les autres avec l’émergence de minorités combatives. Mais peut-on concilier le dogme de l’universalisme républicain avec l’alliance pour le pouvoir avec des communautés mobilisables pour la bonne cause ? Oui si le modèle précédent a basculé dans un communautarisme clanique se servant des principes étatiques républicanistes et de la laïcité comme idéologie de combat de tous contre tous. Nous y sommes. Les banlieues sont alors l’arène de tous les combats

Mais il y a un troisième modèle qui gagne du terrain à bas bruit. C’est le modèle naturaliste de la diversité. La bio-diversité des cultures et des croyances serait facteur de synergie et d’homogénéisation sur l’essentiel. L’essentiel est a-culturel, inscrit dans les lois de la nature et régi par quelque sélection naturelle. La diversité des cultures, prises dans leur folklore, est interprétée comme une variété de rapports avec la nature et même un gage d’authenticité. Ce modèle qui manipule les sentiments, les bénéfices hédonistes et festifs, laisse penser que les lois de la nature ont leurs exigences imparables. La démagogie se nourrit de comportements et de pensées politiquement corrects dont la versatilité favorise les homogénéisations. Oui aux différences à condition qu’elles soient accessoires. Les banlieues sont ici le lieu de comportements « naturels » des habitants comme on le disait des indigènes au temps des sciences naturalistes du 19 ème siècle.

Ces trois conceptions obnubilent la pensée et l’action politique avec des modèles anciens y compris ceux qui se disent modernes. Le quatrième modèle a donc à se construire dans les ruines d’un terrain miné par ces constructions classiques dont les banlieues sont les signes de l’échec et par conséquent le lieu d’une renaissance possible, d’un laboratoire du « multiculturalisme républicain »

Le multiculturalisme républicain, un modèle français alternatif et exemplaire.

Les hommes vivent en communautés, c’est là que se réalise leur existence et chaque communauté porte une part d’humanité qui fait sa singularité et sa culture. Cette culture est la façon de cultiver ses propres potentiels dans des circonstances très variables. De ce fait cette culture évolue selon trois facteurs :

  • l’orientation vers le meilleur ou non de ses potentiels qui lui permet de régresser ou de progresser, de manifester ses faiblesses ou ses qualités et valeurs essentielles
  • elle évolue en progressant selon une échelle de maturation humaine, c’est son développement par lequel sa culture progresse dans sa conscience, ses compétences, ses talents et sa vocation singulière.
  • Enfin selon les circonstances locales et historiques elle cultive les réponses adaptées qui sont les siennes et dépendent de sa culture, chaque communauté réagissant à sa manière.

Il y a donc dans chaque communauté un potentiel d’humanité qui se traduit dans sa culture et qui témoigne ainsi de l’Humanité à sa manière. Elle doit pour cela trouver à s’orienter selon le Sens du bien commun qui est le sien, Sens de son développement et de celui de ceux qui y participent. Pas de bien commun sans communauté.

Mais chaque communauté est composée d’autres communautés qui y participent. En même temps elle s’inscrit aussi dans d’autres communautés si bien que toutes les communautés sont intriquées les unes dans les autres, intégrées les unes dans les autres. Il en va de même pour les personnes qui les composent toutes et y sont intégrées. Ainsi une communauté est porteuse d’une culture propre mais participe en plus aux cultures de ses communautés d’appartenance. Mais alors sa participation se fait aussi à sa manière propre. Ainsi se constituent des communautés culturelles qui rassemblent plusieurs communautés culturelles. L’unité de la première est constituée de la diversité des autres (mais pas de leur simple addition). Mais c’est vrai à de multiples niveaux, ce qui fait la complexité des situations multi-culturelles. C’est une expression du fait que toute communauté humaine est faite de personnes uniques et différentes et donc aussi de communautés culturelles différentes.

On s’aperçoit que les conceptions précédentes sont simplistes et réductrices. L’universalisme étatiste élimine les différences (et la profondeur de l’humanité). Le communautarisme ne connais que des rapports de force, de pouvoirs et de suprématie. Le naturalisme de la bio-diversité fait des différences un artifice accessoire.

Si on passe à la pratique de cette analyse alors on verra que les communes sont des communautés inscrites dans d’autres communautés locales, régionales, nationales. Qu’elles sont composées de quartiers donc de communautés de quartier. Chaque quartier est composé de plusieurs communautés culturelles selon différents critères mais surtout selon la façon dont se rapprochent ceux de chaque communautés. Mais les personnes participent aussi à plusieurs communautés et de ce fait, la communauté de quartier par exemple n’est pas simplement l’addition de plusieurs communautés mais leur conjugaison dans un ensemble, un rassemblement unique et original. Bien sûr on peut, sans difficulté, passer des communautés nationales à des communautés internationales européennes par exemple. Mais aussi des communautés intégrées dans une communauté de quartier participent aussi de communautés nationales et internationales. En plus avec internet vivent de multiples communautés à distance qui complexifient encore le tableau. Il est important de prendre conscience de cette complexité, de la complexité multiculturelle pour éviter de tomber dans les simplistes précédents.

Ainsi on ne va pas chercher à additionner ou soustraire  les cultures mais considérer chacune pour elle même, pour sa participation à d’autres communautés et pour la participation d’autres communautés à son devenir.

Une communauté de quartier a une culture propre et, si elle est engagée dans la culture de son bien commun, alors elle saura intégrer d’autres communautés dans sa gouvernance et les faire progresser dans leur propre culture et dans la culture commune.

Ainsi la recherche du bien commun d’une communauté de quartier contribue à la reconnaissance de l’existence de communautés culturelles singulières qui la composent et de leur participation à ce bien commun. La maturation de la communauté de quartier est la voie de la reconnaissance multi-culturelle et de la contribution de chacune à la culture commune.

Si à l’échelle d‘un quartier, d’une commune ou d‘un territoire on va trouver là les principes d’une démocratie communautaire, à l’échelle nationale la recherche du bien commun de la communauté est le principe même de la République débarrassée de ses interprétations réductrices. Alors la république devient le principe d’une communauté nationale multi-culturelle et ce à tous les niveaux.

Mais comment engager ce processus de multi-culturalisme républicain.

L’idée de le faire par le biais d’un engagement des structures politiques nationales ou leur réforme se heurte au fait que les élites qui en ont la charge sont entièrement construites sur les modèles classiques et que beaucoup parmi les milieux intellectuels sont aussi tentés par la logique naturaliste. C’est comme cela que les banlieues restent en déshérence de par leur incompétence pour penser et agir dans ces situations.

Le deuxième point est la nécessité de travailler au niveau de communautés politiques c’est-à-dire, dans le contexte national, au niveau de communautés territoriales. Théoriquement le niveau régional ou intercommunal serait propice si leurs responsables administratifs et politiques en étaient capables étant engagés dans un mono culturalisme institutionnel prédominant.

On peut alors penser que le mouvement doit être engagé au plus près du terrain multi-culturel c’est-à-dire les quartiers. Ils constituent des communautés politiques en gestation, dénuées de gouvernance et disposant de la diversité culturelle dont les potentiels sont encore souvent à révéler. C’est donc la défaillance des modèles actuellement en crise qui désigne les banlieues comme laboratoire d’une nouvelle démocratie, la démocratie communautaire qui se trouve être un multiculturalisme républicain.

Une question méthodologique se pose alors. Faut-il d’abord travailler avec la communauté territoriale (dite communauté politique) ou avec les multiples communautés qui y participent ?

La réponse est claire. Le multiculturalisme n’est pas un projet mais un fait. En outre il est localement d’une très grande complexité et par lui même peut être engagé dans n’importe quel Sens. Or un multi-culturalisme républicain est orienté dans la recherche du bien commun celui de la communauté de quartier. De ce fait c’est à l’émergence et au développement de cette communauté de quartier qu’il faut travailler avec comme visée l’existence d’une communauté politique donc majeure, multiculturelle de fait et capable de se rassembler avec d‘autres communautés, communales par exemple.

La trajectoire de maturation communautaire passe par quatre phases : se sentir bien ensemble, cet ensemble là; faire ensemble pour s’identifier à des qualités et compétences collectives, un « nous valons » ensemble; concevoir et s’organiser ensemble dans les affaires communes en cultivant une intelligence collective et enfin, assumer un dispositif de gouvernance communautaire local et ses responsabilités d’avenir.

Cependant il faut noter le caractère unique de chaque communauté et donc d’un développement culturel unique dont il faut identifier les voies et critères dès le départ. Cela suppose donc un accompagnement éclairé et compétent employant des méthodes ad-hoc et non pas des recettes passe partout.

On peut alors se demander quelle initiative peut engager un tel processus. Il y a plusieurs réponses possibles. L’initiative d’un maire éclairé qui en fera un prototype pour le reste de sa commune, l’initiative d’une ou plusieurs personnes des services municipaux, l’initiative d’une association qui a accès au territoire et à la communauté locale, l’initiative d’un groupe professionnel de ces démarches relayée par la communauté, l’initiative d’un collectif du quartier qui en assume l’enjeu et la démarche. Il est capital de comprendre qu’il y faut des compétences dont le professionnalisme est encore aussi rare que cette démarche elle-même et qu’il faut donc démultiplier.

Pour soutenir ce projet au niveau national il faut rassembler plusieurs forces.

Un support « politique » pour faire exister le concept et l’illustrer dans le monde politique et son environnement (national et local)

Un support intellectuel pour faire exister le projet dans l’intellectualité publique avec un groupe qui interpelle des intellectuels sur les articulations théoriques et pratiques du projet.

Un support opérationnel avec un groupe d’accompagnateurs formés sur le terrain (formation action)

Un support de communication capable de porter un projet de type storytelling, empruntant tous les vecteurs pertinents.

Un support philosophique et méthodologique avec un cercle dédié à la démocratie communautaire avec l’Humanisme Méthodologique.

Une petite équipe stratégique doit piloter le tout.

Roger Nifle 29 mars 2015